INTERVIEW

GUILLAUME MICHEL
19/06/2006

 


Tu diriges le magazine "D-Side", peux-tu nous en dire plus sur sa ligne éditoriale et comment tu procèdes : est-ce toi qui décide tout, comment choisis-tu le contenu, est-il le reflet de ce que tu aimes personnellement ?
Guillaume Michel :
Pour la partie musicale j'élabore le sommaire seul, en effet, j'écoute les disques que nous envoient à la rédaction les labels français et étrangers, je fais un tri entre ce qui ne correspond pas à notre ligne éditoriale, ce qui y correspond mais ne sera que chroniqué et ce qui

sera chroniqué et fera aussi l'objet d'une interview et d'un titre sur notre sampler. Tout marche au feeling, au coup de coeur. Mais le sommaire musical n'est pas pour autant intégralement le reflet de mes goûts personnels puisque je tiens compte dans mes choix du spectre couvert par le magazine et de l'intérêt que portent certains de nos lecteurs à tel ou tel genre. Ce n'est pas parce que j'écoute plus de musique électronique au sens large que de dark metal, de dark folk ou d'ambient que ces musiques ne seront pas représentées dans "D-Side". J'ai des goûts vraiment éclectiques vous savez, dans ma discothèque on peut trouver toute la new wave, un gros rayon électronique et électro-rock, de Front 242, DAF, Covenant à Vitalic, Aphex Twin, Plastikman, Goldfrapp ou LCD Soundsystem et plus loin Ministry, Paradise Lost, Nine Inch Nails, Marilyn Manson ou Archive, Interpol, Bloc Party et Radiohead, l'intégrale des Smiths, de Pulp ou Depeche Mode à côté de celle d'And Also The Trees, de Dead Can Dance, The Cure, The Sisters Of Mercy et moult autres groupes et styles encore... Cela dit sans aucune prétention, je crois avoir assez de recul, avec vingt ans passés dans l'underground à écouter et voir mille et une choses, pour savoir ce qui va susciter l'intérêt de nos lecteurs, même dans un style qui n'est pas celui que j'écoute ou apprécie le plus. En ce qui concerne la littérature, je bouquine beaucoup et me tiens aussi au courant de ce qui se fait pour pouvoir en parler avec Jean-François Micard qui est responsable de cette partie du sommaire, idem pour l'art contemporain, la photographie etc. Côté cinéma, je regarde en moyenne un ou deux films par jour depuis l'adolescence, tous styles confondus, et dans le cadre de "D-Side" j'assiste aux projections de presse avec Emmanuelle Ferrand pour discuter avec elle de ce que nous mettrons au sommaire. La partie BD quant à elle est intégralement gérée par notre graphiste Le Diese.

Est-ce davantage le cas concernant la programmation des concerts que tu organises à La Loco et au Batofar ?
Je m'occupe seul de la programmation des concerts, du booking et de la négociation des contrats. Mais en aval je travaille bien sûr avec les gens de ces salles, principalement Monica Stranik de La Loco pour la production et la partie technique. Le Diese, le graphiste de "D-Side", conçoit tous nos flyers et Valentine Martins qui fait avec moi tous les premiers vendredi du mois la New Wave Day au Batofar s'occupe aussi de la promotion de nos concerts sur le web.

Finalement, quels objectifs défends-tu grâce à ces choix ?
L'objectif est de faire plaisir aux gens passionnés comme mon équipe et moi-même par les musiques et la culture underground. On se situe là à mi-chemin entre l'altruisme et le prosélytisme. On donne beaucoup je crois et on s'oublie souvent. C'est très dur de trouver du temps pour avoir une vie privée, dormir...

Ce professionnalisme dont tu parles, vous mène-t-il dans les rangs de revues comme les "Inrocks" par exemple, en terme de ventes et de notoriété, ou est-ce juste que vous avez moins le droit à l'erreur que les autres parce que vous manipulez de l'underground ?
Je ne connais pas les chiffres de vente des "Inrockuptibles" et ça ne m'intéresse pas vraiment. Nous n'oeuvrons pas dans un but mercantile, nous avons tous des activités parallèles et "D-Side" est avant tout une passion. Les ventes de "D-Side" en France et à l'étranger et la publicité suffisent à faire vivre le magazine (qui coûte extrêmement cher à réaliser à cause du soin que nous apportons à sa confection : dos carré, grammage du papier assurant une bonne tenue, glaçage, couverture cartonnée, sampler de seize titres (gros frais SACEM /SDRM donc) avec couvertures quadri, couleur pailletée sur la rondelle etc) et son équipe sans le soutien d'un groupe de presse ou d'un "mécène", ce qui est plutôt rare. En d'autres termes, on n'a pas à se plaindre du tout au regard des chiffres de ventes de la presse musicale en France et de la disparition fréquente de magazines ces dernières années. Concernant le droit à l'erreur, en fait on ne s'est jamais posé la question de savoir si le fait de parler de l'underground changeait quelque chose, ça ne m'a même pas traversé l'esprit même au début. On est sérieux ou on ne l'est pas quel que soit le style de musique ou de culture. Je ne sais pas si nous faisons tout parfaitement, ce serait bien prétentieux de le penser, mais le fait de n'avoir jamais (vraiment jamais) reçu un courrier de lecteur se plaignant d'un truc, nous faisant remarquer une erreur ou une lettre d'insultes est très rassurant et gratifiant. Personnellement je ne pourrais retirer aucun plaisir, j'aurais même plutôt honte de la création d'un magazine juste "moyen", un truc alimentaire, avec quelques infos de remplissage, des textes écrits bien gros, des questions bidons à la "si tu partais sur une île déserte quel disque prendrais-tu avec toi?" et des images chocs de teen-agers goth cloutés/résillés se roulant des pelles pour faire style "on est dark et rebelles". Le mouvement dark souffre de tous ces clichés véhiculés par certains médias, des choses qui font rigoler tout le monde, même les goths bien souvent, le côté "vampire pseudo-décadent" qu'on évite volontiers dans "D-Side" pour que ce mouvement soit respecté et pas montré du doigt le sourire aux lèvres.

Outre la direction du magazine "D-Side", peux-tu nous rappeler tes activités ?
Les concerts mensuels électro, goth, indus etc de la Locomotive, la soirée mensuelle New Wave Day au Batofar en tant qu'organisateur et DJ et occasionnellement des concerts dans cette salle.

Les temps (culturels) sont durs. Parviens-tu à t'offrir une vraie vie de cadre sup' ou es-tu plutôt dans le style "smicard intermittent" ?
Ni l'un ni l'autre...

Question inévitable et qui s’adresse ici plus à ta sensibilité qu’à ton métier : quel regard portes-tu sur la scène "dark" aujourd’hui?
Je la vois muter, évoluer, grossir aussi et générer davantage de sous-genres et de modes depuis plusieurs années, mais le public, jeune ou moins jeune, est de moins en moins curieux on dirait. C'est là que nous intervenons avec "D-Side", c'est ce qui nous motive : tenter d'empêcher les gens de rester confinés dans leurs chapelles, faire découvrir de nouveaux sons, de nouvelles images, et enlever quelques oeillères au passage...

Que réponds-tu à ceux, puristes, qui pourraient regretter une certaine authenticité perdue au profit de cette mutation dont tu parles ?
Qu'est-ce que le purisme dans l'underground finalement ? Un synonyme d'"incompréhension" parfois, un manque de culture souvent, qui empêche de bien comprendre la saveur de certains sons, l'intelligence de certaines démarches, la logique de certains ponts entre les genres, l'évidence de certaines parentés...

Comment penses-tu être perçu au sein de cette même scène ? Quelle image penses-tu donner ? Quels retours as-tu personnellement ?
Si tu parles de moi personnellement, je n'ai aucune image à donner, n'en donne aucune, et ne m'en soucie pas à vrai dire. Si tu parles de "D-Side", je suis content de l'image de sérieux et de qualité que nous véhiculons, nous sommes très exigeants avec nous-mêmes
crois-moi, très pointilleux sur tout, perfectionnistes, maniaques même. On se plie vraiment en quatre pour combler nos lecteurs, c'est une lutte quotidienne pour toujours obtenir le meilleur pour notre CD sampler, obtenir des interviews avec des gens intéressants, avoir de belles photos, la plus grosse quantité d'infos possible, plus de cent chroniques de disques dans chaque numéro, plein de cadeaux etc. Nos lecteurs, en France, en Belgique, en Suisse ou au Québec nous le rendent bien, crois-moi...

Entre les concerts à la Loco et ton magazine, tu es très proche de nombreux artistes et ta notoriété dans le milieu n’est plus à démontrer. Malgré tout, tu sembles assez "discret" et plutôt "solitaire", est-ce que ces adjectifs te conviennent ?
Du tout, j'ai plutôt une image de déconneur dans mon cercle de potes, les artistes et les maisons de disques. J'ai du mal à rester sérieux dans mon discours même si je fais très sérieusement mon travail. Pour ce qui est du côté "solitaire", j'ai un mal de chien à réussir à passer une soirée chez moi seul... Si tu me résumes aux quelques heures mensuelles où l'on m'aperçoit à la Locomotive ou au Batofar... oui, là je préfère souvent m'isoler car il y a toujours des tas de choses à gérer durant les soirées et les concerts, ça fait souvent depuis des heures que je suis là à m'occuper des groupes et de la préparation de la soirée quand les portes ouvrent, et je préfère alors rester concentré, au "calme", avec seulement une ou deux personnes proches à mes côtés...

Est-ce qu’il y a quelque chose que tu regrettes de ne pouvoir faire (ou faire davantage) faute de temps ?
De la radio, de la télé et du cinéma, mais j'ai des pistes dans les trois directions, encore pas mal d'idées à creuser et de l'énergie à revendre.

Ces projets (ciné, tv, radio) ne risquent-ils pas de faire perdre une certaine "intégrité" à D-Side en donnant une image peut-être un peu trop "star-system" de son rédac-chef ? A moins que ce ne soit au contraire un moyen supplémentaire d'asseoir ton travail ?
Je ne suis pas "connu" et ce n'est pas mon souhait. J'ai envie de faire partager ces musiques et cette culture qui me sont chères à tous ceux qui peuvent y être sensibles et beaucoup / trop de gens n'en connaissent même pas l'existence, ce qui est bien dommage pour beaucoup d'artistes "underground" dont le travail n'est souvent pas reconnu à sa juste valeur. Je pense que "D-Side" est un premier pas, mais y a d'autres médias que la presse pour assouvir ma soif de partage, avec notre sampler on peut faire écouter seize morceaux, alors qu'avec une émission de radio hebdomadaire...
Donc, à quand une émission de radio nationale pour les musiques "alternatives" au sens large (électro, indus, dark métal, goth etc), idem pour une émission de télé ? Si ça n'intéresse personne de s'y coller, moi si, et ce n'est certainement pas pour qu'on m'y entende ou qu'on y voie ma gueule, je n'ai pas la prétention d'être "beau et passionnant" comme garçon ha ha...

 

Propos recueillis par Dawn et Dusk
Merci à Guillaume Michel