INTERVIEW

MINIMAL COMPACT
L'UBU RENNES - 05/05/2004

 

 

Comment vivez-vous ce retour à Rennes, première ville d'accueil française dans votre carrière ?
Samy : Ca fait partie de notre rapport avec la ville, avec l'endroit. Nous avons commencé à Amsterdam et le premier concert que nous avons fait en dehors de la Hollande était effectivement ici à Rennes donc il y avait vraiment un contact spécial. Je viens souvent à Rennes et un peu partout en Bretagne donc c'était tout naturel pour nous de revenir ici pour la reformation de Minimal, dans le cadre du 25ème anniversaire des Transmusicales. C'est vraiment splendide d'être là.

Le public a d'ailleurs réagi en conséquence, comment l'avez-vous vécu ce concert aux Trans ?
C'était très bien. C'était étonnant de voir les anciens fans et les nouveaux aussi. C'était une bonne expérience.

Et le choix de Rennes comme première date de Minimal Compact dans les années 80, est-ce quelque chose qui s'est fait délibérément ou est-ce un pur hasard ?
Non, c'est un pur hasard.

Depuis sa reformation et toutes ces dates, comment se sent l'ensemble du groupe ? Etes-vous à l'aise sur scène ? Etes-vous prêts à faire un nouvel album ?
Non nous n'en sommes pas encore là. Pour le moment, nous nous en tenons aux "classiques" de Mnimal autour de la sortie de "Returning Wheel", notre nouveau coffret. Nous ne nous projetons pas très loin en fait, ça va venir ou pas, nous ne savons pas.

Quel est le véritable instigateur de cette reformation ? Le label avec la sortie de la compilation ?
Tout ! Il y avait un film au début, fait il y a deux ans par un fan qui a grandi dans les années 80 et qui a suivi de près le groupe. Il a mis quatre ans pour faire le film et l'a financé lui-même. Lorsqu'il eût terminé, nous sommes allés en Israël pour voir la première - cela passait à la télé - et le rencontrer. Nous avons passé un bon moment ensemble et nous nous sommes dit que ça serait une bonne expérience de mêler ça à la sortie de notre coffret. On voulait voir ce que ça pouvait donner en faisant quelques concerts autour de ça, nous n'en avions aucune idée puisque moi-même je n'avais pas chanté depuis douze ans, ni écrit, j'étais devenu Dj Morpheus donc je jouais la musique des autres que j'aimais bien... Et puis ça s'est bien passé finalement. Ca a été difficile la première semaine puis ensuite tout était sur place donc finalement l'ensemble du set fait en novembre et décembre est très bien passé.

Vous disiez dans une récente interview qu'il y avait comme un effet de drogue de la scène qui avait agi...
Il s'agit en fait de l'alchimie avec les gens parce que lorsqu'on ne joue pas avec quelqu'un depuis des années - et d'abord pour soi-même - on oublie cette sensation forte des lives. Ce qui était étonnant, c'était de jouer ensemble, ces cinq personnes qui font Minimal Compact, qui donnent une chose précise, et de voir que cette alchimie était toujours présente. D'autre part, j'avais peur d'une certaine nostalgie mais finalement je trouve que ça donne quelque chose de très actuel et hors du temps presque.

Mais est-ce que la reformation de groupes des années 80, comme Siouxsie and the Banshees, Echo and the Bunnymen ou New Order dont le dernier album a très bien marché, n'aurait pas poussé Minimal Compact à se reformer ?
Oui ça a joué aussi, la période était bien choisie. Il y a eu comme une attente, les sonorités de cette période ont été redécouvertes par les gens, il y a eu plein de choses même en "dance", je ne dirais pas "electro clash" parce que je n'aime pas, il y a du bon et du mauvais. Mais même les vieux classiques c'est vraiment un plaisir de les rejouer, il fallait juste le bon "timing" pour le faire. Si on l'avait fait il y a deux ans, les éléments n'auraient pas là. Tout est tombé sur place au même moment donc bien sûr on a dit "Oui on va le faire, on le sent maintenant !" et d'autant plus suite aux concerts. Si ces concerts avaient mal tourné notamment au niveau de l'entente entre nous ou musicalement, nous n'aurions pas continué mais après cette série de concerts nous avons réellement éprouvé l'envie de faire une tournée en Europe. Et voilà nous sommes là !

Cette parenté souvent citée avec la scène new wave ou cold wave ne vous a-t-elle pas agacé à une époque ?
Oui un peu même si c'est vrai que nous avons commencé en pleine époque new wave avec des classiques qui ont inspiré le mouvement. "Cold wave" je n'aimais pas non plus parce que je ne trouvais pas que Minimal soit "froid" dans sa démarche musicale. En même temps, le groupe a existé de 1980 à 1988 malgré tous les changements et nous avons touché à plein d'autres musiques, pas seulement dans le cadre de nos chansons. Nous avons par exemple fait un album très expérimental pour un ballet, un projet spécial pour la radio, plutôt expérimental aussi. Il y a beaucoup de facettes à la musique de Minimal et une sorte de liberté qui fait que nous ne souhaitons pas appartenir à telle ou telle catégorie.

Le troisième cd du coffret justement montre un autre aspect de Minimal Compact...
Voilà oui c'était important de montrer ça aussi ! A part les classiques, il y a des remixes, des versions réalisées par des gens de la scène "dance". Il y a aussi un truc plus "lo-fi" que j'avais enregistré sur une cassette pourrie et où il y avait une atmosphère vraiment intéressante. Nous voulions montrer d'autres couleurs, les autres possibilités de Minimal, des musiques de films, des prototypes electro etc.

Puisque vous parlez de cinéma, comment est née votre collaboration avec Wim Wenders pour "Les Ailes du Désir" ?
Nous ne nous sommes jamais rencontrés mais il parlait souvent de ses goûts musicaux dans ses interviews et nous a cité de nombreuses fois. Puis il a pris notre morceau "When I go" pour "Les Ailes du Désir" mais nous ne nous sommes jamais vus.

Est-ce un regret ?
J'aurai bien aimé le rencontrer oui. Mais ce n'est pas toujours nécessaire quand même. Ca dépend de la volonté de chacun. Je crois qu'il nous a vu en concert à Berlin mais je n'étais pas informé.

Des rencontres ont été faites depuis avec des metteurs en scène ?
Nous avons participé à un autre projet sorti sur un disque qui s'appelle "Fuck your dreams, this is Heaven" avec Tuxedomoon, fait par un réalisateur français dont je ne me rappelle pas le nom. Je n'ai même pas une copie de ce film. Il voulait que les groupes fassent des reprises de morceaux des années 60-70 tels que Patty Smith, Velvet Underground...Nous on a fait un morceau de Sid Barrett (ndlr : Pink Floyd) et ça c'était une expérience intéressante.

Envie de retoucher au monde du cinéma ?
Oui enfin de moi-même je peux choisir des musiques pour des films mais pas forcément des trucs que j'écrirais spécialement, là je parle en tant que dj, mais en tant que groupe oui pourquoi pas. On a justement sur le troisième cd quelques titres qui au départ étaient faits pour un film. A l'époque il ne s'agissait que d'essais qui n'ont pas débouché parce que nous n'arrivions pas à tomber d'accord avec le metteur en scène. C'était resté dans les archives jusqu'à ce jour.

Que pensez-vous de l'engouement de la presse concernant ce revival des années 80 ? S'agit-il selon vous d'une démarche commerciale ou d'un amour pour cette période ?
Je crois qu'il y a une soif de live avec une domination du monde des djs et cela mène à explorer des choses plus anciennes. On sait aussi que dans la musique, les choses reviennent toujours après un certain temps même si on n'en connait jamais vraiment la raison, c'est cyclique. C'est sûr il y a quand même le côté fashion qui est très fortement exploité aussi.

Les médias n'y sont pas pour rien...
C'est sûr, ils sont là pour vous rappeler les choses comme ils font avec chaque phénomène mais nous nous avons suivi notre propre chemin. Lorsque nous faisions de la new wave, nous faisions ça à notre façon. Certains journaux nous comparaient à "Joy Division", c'est vrai que ça a été un grand groupe qui nous a peut-être influencé, on retrouve la basse et sûrement parce que j'ai la voix grave aussi mais je pense que j'étais un peu plus marrant que Ian Curtis (rires).

Oui il y a quelque chose de plus "chaud" chez vous ne serait-ce que dans "Static Dancing"...
Oui et déjà là nous avions quelque chose que personne n'avait dans ce mouvement new wave c'est le côté oriental.

En ce qui concerne vos projets il y a eu "Oracle". D'autres collaborations sont-elles à venir avec des membres de Minimal Compact ?
"Oracle" était un projet que j'ai fait avec Colin Newman (ndlr : Wire) et Malka Spigel, la bassiste de Minimal. Ils habitaient près de chez moi à Bruxelles et nous nous voyions souvent. Nous avons écrit sans plan précis mais à un moment donné ils ont déménagé à Londres et ont ouvert leur label. De là, nous avons fini l'album en deux semaines pour le signer sur ce label. C'est un des premiers disques signés chez eux et un des seuls disques que je n'ai pas fait pour Crammed. Aujourd'hui Malka et son mari continuent leur label, leurs projets. Moi je n'ai fait que dj radio un peu partout dans le monde et ai sorti mes compilations, j'ai travaillé comme directeur artistique chez SSR pendant sept ans et suis parti il y a deux ans. J'ai fait quelques remixes qu'on m'a demandé mais je n'ai jamais cherché en ce sens, on m'a proposé des choses qui m'ont plu donc j'ai collaboré.

Malka Spigel et Colin Newman, membres de Wire je le rapelle, ne sont pas très loin puisqu'ils sont en Angleterre donc une nouvelle collaboration ne serait pas techniquement impossible...
Oui la grande difficulté justement c'est que nous sommes à présent tous dispersés. Max est à Amsterdam, moi à Bruxelles, Malka à Londres et le plus difficile c'est que les deux guitaristes et le sonorisateur habitent en Israël... c'est un peu plus loin (rires). Je ne sais pas ce que ça va donner parce que dès qu'on n'est pas dans la même place, les choses changent tu vois, les gens ont des familles, des projets et le temps passe. On a pris l'habitude de s'échanger des idées sur cdr mais je crois qu'il faille se rencontrer à un moment précis où tout le monde est un peu libre pour dire "Voilà ce mois-ci on travaille sur ça", alors je crois que ça peut marcher. Là nous avons fait une seul répèt avant le concert au Centre Pompidou à Paris, nous avons joué pendant cinq heures environ. Pendant deux heures et demi, nous avons joué les morceaux et ça s'est bien passé tout de suite donc pendant l'autre moitié du temps nous avons fait des "jams" mais malheureusement nous n'avions pas d'enregistreur alors qu'il en est ressorti au moins trois bases de nouveaux morceaux. C'était très différent et excitant mais j'étais vraiment énervé, surtout contre moi-même, de ne pas avoir apporté de magnéto.

Sincèrement, pouvez-vous nous dire s'il y aura un dernier album de Minimal Compact ? Vraiment aucune idée là-dessus ?
Non vraiment aucune, tu sais avec Minimal, nous avons toujours vu venir en faisant et cela continue comme ça. C'est un groupe à part sur ce point, souvent les gens font des plannings : album, tournée etc. mais chez Minimal c'est plus flou. C'est selon les feelings, la disponibilté des gens et les envies, ça reste très libre, très ouvert et c'est peut-être mieux comme ça. Pas de pression. Et nous ne sommes pas dans une démarche dictée par une maison de disques ou la commercialité. C'est une démarche spontanée et artistique.

Les gens de notre génération semblent connaître Minimal Compact davantage par Dj Morpheus. Comment Samy Birnbach est-il devenu Dj Morpheus justement ? Comment cette rencontre avec la "house music" est arrivée ?
En fait pour moi c'est arrivé avant Minimal Compact parce qu'en 1978 je jouais pour la première fois comme dj dans un club qui s'appelait "New wave" à Tel Aviv. C'était une vieille discothèque reprise par un copain et ça tombait bien parce qu'il manquait un endroit pour les groupes rock ou new wave en Israël. J'ai commencé à y jouer deux ou trois fois par semaine. Au départ on s'est dit qu'on allait pas jouer de disco parce que c'était mal vu, tout le monde disait "Disco sucks !", bien sûr j'en ai joué mais il ne fallait pas employer ce terme : évidemment "Blondie" et "Art of Glass" c'est de la pop ! Très vite j'ai remarqué qu'on ne pouvait pas passer que de la new wave pour danser donc j'ai commencé à mélanger les choses : du reggae, de la funk, du psychedelic... ou des choses comme Kraftwerk pour le côté électronique. Aujourd'hui encore, je reste très freestyle. Même si je suis capable de faire un set dans un style précis, je préfère mélanger les choses. Suite à tout ça est né Minimal donc j'ai quelque peu mis de côté le djing mais j'ai toujours voulu faire une émission de radio. J'ai donc commencé à faire des émissions sur "Radio Cristal" -qui n'existe plus, la seule radio "dance" à Bruxelles- et j'ai sorti "Freezone", assez ambiant, puis "Freezone 2" qui touchait à toutes les ambiances : trip-hop, drum n'bass, house, techno etc.

Entre autres envies, pourriez-vous revenir vers quelque chose de plus atmosphérique avec ces références à la littérature que vous aviez faites l'époque ?
Je n'ai pas d'idée précise là-dessus mais ce qui est sûr c'est que la rencontre avec Minimal m'a redonné l'envie de chanter, de faire des projets vocaux et musicaux. Je n'avais plus aucune envie après le split de Minimal. J'ai fait trois albums complètement différents puis j'ai perdu l'envie d'écrire et de chanter, je me suis tourné vers des choses plus instrumentales. Mais ces dernières années, j'ai travaillé sur beaucoup de projets vocaux. En fait ce sont les retrouvailles avec Minimal qui m'ont fait réaliser que chanter m'avait manqué sans que je le sache.

Et pour rester dans les projets, y aura-t-il un jour la sortie d'un recueil de poèmes de Samy Birnbach ?
Pas vraiment non. Enfin il ne faut jamais dire jamais. Je ne sais pas à vrai dire. Je ne fais jamais de plannings de ce genre...

Les relations entre Minimal Compact et l'Israël ont été difficiles au début des années 80 de par la mauvaise compréhension de votre musique. Ces relations se sont améliorées par la suite, pourquoi ? Quel est le facteur qui a fait que votre groupe devienne à un moment donné finalement très bien accueilli là-bas, que s'est-il passé ?
Au début c'était très dur oui parce que nous n'étions pas acceptés, nous chantions en anglais et habitions ailleurs donc les gens nous voyaient d'un mauvais oeil surtout les médias. Il y avait très peu de presse, nous étions presque ignorés. Puis nous commencions à être connus en Europe tout en restant underground, alors que la plupart des groupes mondiaux israëliens étaient connus par l'Eurovision. Alors on a fini par nous accepter, dans un premier temps, puis parler de nous et à travers les années ça s'est amélioré. Cependant, il y avait toujours des journalistes plus ou moins cyniques qui essayaient de trouver des défauts et de nous attaquer. Aujourd'hui, il y a comme une coallition, même les quelques journalistes qui restaient cyniques n'ont pas pu s'empêcher de dire qu'ils avaient adoré. Un autre facteur aussi, ce sont les concerts. Bien sûr il y avait les vieux fans qui ont trouvé ça encore mieux qu'il y a vingt ans et cela nous a réjoui parce que nous avions cette impression là aussi. J'ai questionné un peu plus ces gens pour savoir ce qu'il en était vraiment et ils ont répondu qu'ils trouvaient ça plus chaleureux, plus détendu. Nous avons vu également des nouveaux fans, des goths qui connaissaient déjà les paroles, c'était assez étonnant.

Ce qui prouve que vos productions sont intemporelles.
Oui complètement maintenant. Et nous avons souvent été arrêtés dans la rue pour se voir dire "Merci d'être revenus, merci pour vos concerts", nous étions invités partout, on ne pouvait pas rentrer dans un bar ou au restaurant sans que le patron nous dise de ne pas payer. C'en devenait même embarassant.

Un dernier mot pour ceux qui vont vous voir ce soir sur scène ou plus tard à Morlaix ou à Nantes ?
On va voir, déjà demain on joue à Lille, on fera le bilan après (rires).



Interview par Filbon et Ian pour Radio Campus Rennes
Merci à Samy Birnbach et Crammed Disc / Minimal Compact