INTERVIEW

SHANE COUGH
01/03/2005

 


Il s’est écoulé 5 années entre "Delight in Disorder" votre premier album et "Intraveineuse", pourquoi et que s’est-il passé pour vous durant ce laps de temps ?
Gauthier : C’est vrai que 5 années ça fait beaucoup ! En fait, "Delight" est sorti en septembre 2000 et on a continué à tourner en 2001. Après quoi Marianne est partie travailler à Portland pendant un an et les autres en ont profité pour boucler leur cursus universitaire. Un vrai blanc d’un an pendant lequel on n’a pas touché à nos guitares ou à nos synthés. Cette année a été surtout nécessaire pour nous montrer à quel point on avait be-
soin de la musique : aller voir des concerts était ambigu tellement on voulait être sur scène à nouveau à la place de ceux qui y jouaient! Du coup on s’y est remis en ayant parfaitement conscience qu’après l’absence qu’on s’était ménagée il fallait revenir en ayant passé un cap, notamment celui du son, et aussi en essayant de ne pas confondre les tics d’écriture de "Delight" pour les traits fondamentaux de Shane Cough. On a donc composé, plus de 25 morceaux en tout, enregistré, réenregistré, ré-réenregistré, travaillé les morceaux en résidence où on a également élaboré le son d’ "Intraveineuse", et démarché des labels. On a aussi testé les nouveaux morceaux sur scène à partir de 2003 autour d’une vingtaine de dates. Cela aboutit au mix final de quelques morceaux à Stockholm avec Adam Kviman. Entre temps, Marianne a trouvé le temps de tourner dans "Oxygène : Valeur morte" de Clément Tuffreau dont j’ai fait la bande-son. D’ailleurs je travaille actuellement sur son prochain court, "Requiem en Faveur du Royaume des Aveugles", sorte de film de spectres sur la RAF. Marianne a aussi réalisé un clip pour Fœtus. De leur côté, Alban et Mikaël ont travaillé sur des bandes-son electro-bruitistes au théâtre sur des textes de Botho Strauss, Werner Schwab, Heiner Müller et John Giorno. Finalement ça fait pas mal de choses, je m’en rends compte maintenant!


Les morceaux composant "Intraveineuse" sont très variés, comment le ressentez-vous de votre côté et comment pourriez-vous le présenter aux gens qui ne vous connaissent pas encore ?
Les morceaux auraient pu être encore plus variés. Parmi certains inédits qu’on relâchera tôt ou tard sur le site, on s’aventurait encore dans d’autres directions, parfois trop soft, parfois trop spé pour "Intraveineuse". On a quand même essayé de conserver une certaine homogénéité dans l’album. Je crois que la variété des titres nous reflète dans nos goûts, qui ne sont pas propres à une seule école. On vient certes du trip-hop et de la pop bruitiste, mais depuis on a écouté pas mal d’indus, de hardcore électronique, de hardcore à guitares, d’électro minimaliste sans oublier la dance music, au sens anglais du terme. On essaie de mélanger tout ça en une violence élégante avec plus ou moins de réussite. Mais c’est ce qui nous pousse à avancer. J’imagine que j’ai un peu présenté l’album pour ceux qui ne nous connaissent pas, non ?



Comment vous organisez-vous pour les différentes étapes de création et d’enregistrement ?
En gros, on procède comme à la fin de "Delight in Disorder" : l’un de nous travaille sur le squelette électronique d’un morceau, on l’envoie à Marianne, puisqu’elle habite sur Paris et nous à Rennes, elle nous envoie ses parties de voix, on retravaille le morceau en fonction. Puis on les retravaille encore en répétition, afin de poser définitivement les voix, les guitares et la basse. Enfin, on commence à enregistrer, souvent des versions démos, avec Olivier notre ingé-son, le 5eme membre du groupe en fait, avant le mix qu’on espère être final. Donc beaucoup d’aller et retours, ce qui prend du temps. On essaiera d’aller plus vite pour le prochain.

Quels sont les thèmes abordés dans vos textes ?
Marianne : Il n'y a pas véritablement de thématique. Il n'y a pas non plus de message. Quand je travaille sur les textes, j'établis des listes de mots anglais récupérés à droite à gauche, choisis pour leur sonorité ou leur résonance: dans les poésies d'Emily Dickinson, dans des romans de Kathy Acker, Ballard, Burroughs… Pour cet album, les textes (nouvelles et paroles) de Michael Gira (chanteur des SWANS, des ANGELS OF LIGHT) m'ont beaucoup influencé. Ils sont terriblement glauques, très incisifs, très durs... J'aime bien aller à l'essentiel. Sur le premier album, je parlais un peu dans le vide comme détachée de tout. Les textes étaient flous, approximatifs. C'était un peu facile. Sur Intraveineuse, je suis plus déterminée, je m'adresse à l'autre, toujours abstrait, mais au moins il y a un semblant de dialogue. Les textes sont plus menaçants et agressifs car ils ont gagné en clarté. Pour cet album, je me suis intéressée à des mots qui résonnent, à des associations de mots qui renvoient directement à des images précises. C'est par exemple le cas pour "Suffocate Me"; le morceau est relativement court et "dansant". Il fallait des textes assez percutants (je chante finalement très peu sur ce morceau) et tranchants par rapport à l'ambiance générale du morceau. Les textes généralement complètent un morceau: ils peuvent le rendre plus dur, plus noir quand le morceau ne l'est pas assez, ils peuvent adoucir au contraire certains angles, ou rajouter du rythme à un morceau un peu mou. J'aime les textes qui accrochent, qui font un peu mal, qui parlent d'eux-mêmes, qui amènent des images fortes et marquantes. Après, tout est question de mesure.

Vous êtes maintenant signés sur le label Enragé Production, qu’est devenu votre premier label Ultraviolet dont s’occupait à l’époque Gaëtan Naël (UBU – Transmusicales) et quelles sont vos relations avec tout ce petit monde ?
Gauthier : Ultraviolet a cessé son activité de label à peu près en 2001. Gaëtan est parti fonder Peter I’m flying, plus orienté électronica. A côté de ça, il continue à nous manager, histoire qu’on continue ensemble l’aventure Shane Cough qu’on a commencé en même temps. Ce sont des relations autant humaines que professionnelles. Les autres membres d’Ultraviolet suivent également l’affaire, mais de plus loin.

Comment pressentez-vous l’accueil de votre nouvel album ?
Aucune idée, ça fait tellement longtemps qu’on planche sur cet album qu’on n’est pas vraiment conscient de ce qu’on a fait. J’espère évidemment que l’accueil sera bon. Peut-être les puristes de "Delight" seront-ils déçus, mais nous sommes très conscients des défauts de jeunesse de cet album, même s’ils ont leur charme, et on ne se serait jamais pardonné de les reproduire dans "Intraveineuse".

Quel public selon vous est le plus susceptible d’être touché par votre travail ?
Je ne sais pas trop, je sais que les magasins de disques ont du mal à nous ranger dans les bacs. Il n’y en a pas deux à faire pareil ! Un coup on est dans le bac électro, un autre dans le bac rock-métal, un coup dans nouvelle scène française ou encore dans le rayon scène indépendante. Je crois que vu qu’on n’appartient pas à une scène précise (type "Nowhere Team"), on risque de toucher un peu de monde dans tous les publics sans rallier un public entier à notre cause. Mais on verra, en tous cas ce ne sera pas le public de Vincent Delerm !


Quelles sont vos influences –musicales et autres– ou coups de cœurs personnels ?
Récemment, on a tous craqué sur "The Shape of Punk to Come" de Refused, c’est pourtant un album qui date de 1996 ! Sinon on reste bien accros à Alec Empire, une de mes grosses baffes sur scène, bien plus qu’Hanin Elias, dont j’ai du mal à cerner l’homogénéité des albums. Sinon, en vrac, Le Tigre, Peaches, même si je commence à être fatigué de la voir sur scène, Converge pour l’énergie. Je redécouvre aussi Bastärd, un groupe français qu’on ne devrait pas oublier, Marilyn Manson pour faire la fête, Ryoji Ikeda pour le côté chirurgical de l’électronique et l’amour du bruit blanc, et Punish Yourself pour la scène puisqu’on a joué avec eux et que ça nous a bien plu. Sinon côté cinéma, ce serait plutôt les 1ers De Palma ("Sisters", "Dressed to Kill"), et surtout la vague d’épouvante japonaise et coréenne avec Byeong-Ki Ahn ("Phone", "Nightmare"), Kiyoshi Kurosawa ("Cure", "Kairo"), Hideo Nakata évidemment, Chi-woon Kim pour "A tale of 2 sisters" qui est magnifique ou Chan-wook Park avec "Oldboy" et "Sympathy fo Mr Vengeance" et la froideur de sa violence. Je crois que c’est de ce côté-là qu’il se passe vraiment quelque chose au niveau esthétique actuellement.

Quelles sont vos ambitions par rapport à Shane Cough ? Avez-vous une idée précise de là où mener le groupe ?
On n’a pas vraiment d’idée précise de nos ambitions. On veut bien sûr en vivre, puisqu’à présent on ne fait plus que ça. On sait aussi qu’on veut progresser, faire encore mieux pour le prochain et joindre la production d’ "Intraveineuse" avec un retour au cinema, mais sans le côté purement "sampling" du trip-hop. On sait aussi que bien que la pression soit forte on n’ira pas jusqu’à chanter en français pour le simple plaisir de se procurer une place au chaud dans le PAF et dans la dégénérescence actuelle de la culture franco-française. Il n’y a qu’à écouter les paroles de Kinito ou de Ridan pour redevenir lucide et se demander si ça vaut vraiment le coup d’insister. Non, à part Programme il n’y a pas grand-chose à sauver dans le chant en français depuis Gainsbourg. Si c’est pour dire de telles âneries, il vaut mieux se taire et faire de l’ambiant !

Avez-vous des projets de clip ou est-ce déjà en cours de réalisation ?
On a plusieurs projets, mais on doit réussir à tous se retrouver pour la réalisation. Ce ne sera d’ailleurs pas évident, je crois qu’avec nos références au cinéma, on risque d’être trop ambitieux et de manquer de moyens. On préfère prendre notre temps afin de ne pas être déçus.

Vos prochaines sorties, vous y pensez déjà ?
Bien sûr ! On ne va d’ailleurs pas tarder à s’y mettre. Ca nous permettra d’ailleurs de glisser subrepticement quelques titres pendant la tournée d’"Intraveineuse".

 

Interview par Dawn et Dusk. Photos par Olivia Frémineau.
Merci à Shane Cough - Marianne et Gauthier - et Séverine d' Enragé Production.